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                        Gros plan sur le métier de nos ancêtres

                                 les tanneurs-corroyeurs

Tanneur1   

  Le travail du tanneur consiste à transformer la peau brute en cuir. Pour ce faire,
  l’emploi de tan est indispensable. Il s’agissait, avant le 19° siècle et en Auvergne,
  surtout d’écorces de chêne (1). Cette pratique date de l’antiquité puisque déjà,
  à cette époque, on trouve des tanneries sur la région d’Aurillac (dont dépend Marcolès).
  Aussi des titres en attestent dès le 14° siècle.
  Deux sortes de cuirs sont produits. D’abord le « cuir fort », servant aux semelles dures
  et puis le « cuir mou » ou « cuir d’œuvre » utilisé pour le dessus des chaussures et tous
  les articles demandant de la souplesse. La façon de faire est la même, seule la durée et
  le nombre de bains dans les cuves du tanneur, et l’importance du battage confèrent dureté
  ou souplesse aux cuirs. Le cuir dur peut être livré tel quel chez le bourrelier, le cuir mou
  doit être en plus corroyé.
 
 
Le métier de tanneur-corroyeur est si complexe qu’il est opportun de travailler en famille, d’où de nombreuses dynasties.
Les quartiers des tanneurs ont toujours été réputés pour leur odeur pestilentielle et pour la couleur nauséabonde des
rivières au sortir des tanneries. Il fallait être motivé pour louer un local pour usage de tanner en dessous de sa maison.
 
Pour cela l’activité des tanneries était presque toujours parquée à l’extérieur des villes et des villages, au moins depuis le 13° siècle.
Un moulin à tan, où sont stockées les écorces sèches souvent jusqu’à 6 ans, est généralement associé à la tannerie.
Le broyage des écorces à la meule de pierre ne se fait qu’au fur et à mesure des besoins de la tannerie, de manière à
conserver le maximum de propriétés actives.
 
Le tanneur reçoit en général les peaux du boucher du village, son principal fournisseur (2). Il peut aussi les faire venir de
plus loin, dans ce cas elles sont pliées et salées pour mieux se conserver pendant le trajet parfois long. Il peut aussi recevoir
les peaux directement de particuliers désireux de les utiliser à usage personnel après un apprêtage chez le tanneur.

Avant le 20° siècle le stock zéro n’existait pas. Le tanneur ne roulait pas sur l’or, même s’il gagnait bien sa vie. L’essentiel

de son capital macérait dans ses cuves en se bonifiant doucement comme le bon vin. Les peaux représentaient donc une

importante immobilisation d’argent entre l’achat des « peaux vertes » et la revente des « cuirs forts ».

Cette immobilisation s’étendait sur deux années.
 
Le travail ‘type’ de la peau avant son appellation de « cuir »
Dans un premier temps, la peau fraîche qui arrive sanguinolente de chez le boucher est mise dans l’eau vive de la rivière
pour éliminer les plus grosses impuretés (et dissoudre éventuellement le sel de conservation). Ce bain de rivière dure de
un à trois jours. Viennent alors les opérations suivantes :
 
Le pelanage ou plammage. - Les peaux sont mises à tremper dans une cuve pour un bain de chaux appelé pelen,
pendant 1 à 2 mois. Les peaux étaient remuées deux fois par semaine (3).
 
Le craminage - Ensuite, bien étendue sur le chevalet de rivière la peau subit un premier nettoyage et décrottage
avec des « couteaux de rivière » avant d’être mise en tas jusqu’au début de fermentation.
 
L’ébourrage ou débourrage ou l’épilage - Avec la fermentation il se produit un gonflement destiné à faciliter le décollage
des poils. La peau revient alors sur le chevalet pour un grattage vigoureux de haut en bas visant à ôter tous les fragments
de chair et de graisse d’un côté et tous les poils de l’autre, ceci avec des couteaux sans tranchant dits
« couteaux ronds ou sourds ». De fréquents rinçages dans la rivière sont indispensables.
 
L’écharnage - Toujours sur le chevalet, avec des couteaux tranchants dits « couteaux à écharner » cette opération doit
venir à bout de tous les restes de chair et autres impuretés.
 
Le rognage - Consiste ensuite avec le « couteau à faux » à enlever les bords et à retirer les lambeaux inutiles pour
régulariser la forme.
 
Le nettoyage - Des lavages en eau claire s’en suivent jusqu’à ce que l’eau de rinçage soit parfaitement limpide.
Puis un nettoyage plus consciencieux se fait avec le « couteau à pierre » pour le côté fleur et la « lunette à parer »
pour le côté chair. Cet outil astucieux est un cercle de métal légèrement conique pourvu d’un trou en son centre et
garni de cuir en guise de poignée.
 
Le trempage - La peau est mise en fosse avec de l’eau puis dans différents bains.
Suivra une période dite de gonflement hors cuve avant le premier tannage.
 
La qualité du cuir dépend de son tannage
 
Le tannage - Arrive un premier bain de tannage de 4 semaines en été (ou de 6 semaines en hiver), dans un mélange
de tannée à 20°. Alors seulement la peau commence à devenir cuir. C’est pendant ces bains que s’opère à l’intérieur des peaux
le remplacement des matières animales putrescibles par le tan qui, lui, est inaltérable. Sans le tannage la peau aurait disparu rapidement,
victime des bactéries gloutonnes ou d’un dessèchement fatal. Le tan de chêne donnait une belle couleur rouge-brun.
 
Les trois grands bains rituels - Au cours du premier bain le cuir est mis côté fleur (ex côté poils) avec une poudre de tan
très fine dans une cuve pour 2 ou 3 mois. Dans le second bain une poudre moins fine est répandue côté chair.
A chaque fois ce sont des dizaines de peaux qui sont empilées dans la cuve avec la poudre tannante entre elles,
pour un séjour de 3 à 4 mois. Au troisième bain une poudre grosse est répandue côté fleur pour 4 à 5 mois supplémentaires de macération.
L’outillage de manutention autour de la fosse comprend surtout un ensemble de pinces de crochets, d’écumoirs et de pilons de bois.
 
Le séchage - Les peaux sont tirées des cuves et mises à sécher sur des perches horizontales dans des hangars très aérés.
 
Le dressage et le parage - Etendues bien à plat, les peaux sont frottées et frappées aux pieds avec les restants de *
poudre accrochés en surface, pour régulariser l’épaisseur.
 
Le battage - C’est enfin le battage sur des grandes tables de bois : il faut rendre les surfaces unies et lisses à grands coups de maillets
de bois ou de marteau de cuivre.
 
Le foulage - Les cuirs sont engraissés avec du suif, puis, pliés par trois, ils sont foulés pour les assouplir.
Alors les peaux sont mises au repos un mois. Certaines vont directement chez le bourrelier pour le cuir fort, d’autres continuent leur
affinage chez le corroyeur. Il s’agit de retirer les excès d’épaisseur avec les « couteaux à parer » , égaliser, assouplir encore
et toujours. Ci-dessous « Travail à la rivière » d’après Diderot & d’Alembert, vers 1760.

 

 

La débâcle des tanneries ( à l’époque des Falissard tanneurs, de Conques et de Marcolès ).
Comme on a pu s’en rendre compte, le temps normal de préparation des peaux entraînait une rotation lente des stocks.
Cette situation incita de tous temps certains tanneurs à mettre en vente des cuirs insuffisamment tannés et préparés,
de sorte par exemple, qu’une paire de souliers ne durait que la moitié de ce qu’elle devait durer en temps normal.
Pour empêcher les fraudes en différenciant les peaux bien travaillées des autres, Henri IV édita en 1596 des décrets
qui resteront en vigueur jusqu’à la Révolution. Imposant un contrôle des marques, il en tirait au passage de substantiels impôts.
 
En août 1759, un édit converti ces droits en un seul et très lourd impôt car basé sur le poids et proportionnel à la valeur du cuir
employé. Cette taxe acheva beaucoup de tanneries. En 1781 J.F. de Richeprey constate l’effet pernicieux des droits de 1759
mais il était déjà trop tard. Cette constatation est aussi faite dans le procès verbal de l’Assemblée Provinciale d’Auvergne,
séance tenue en août 1787 : « Les tanneries d’Auvergne ont été florissantes, et, quoique bien déchues en nombre et en richesse
il en subsiste encore à Clermont, Riom, Thiers, Maringues, Saint-Flour, Aurillac et beaucoup d’autres lieux. Il est vrai qu’elles
déclinent rapidement et nous en trouvons aisément la cause. Le droit des marques sur les cuirs, par une inquisition journalière
et rebutante, vexe arbitrairement le vendeur et l’acheteur, le fabricant, le marchand et l’ouvrier. On sait que la qualité des
cuirs dépend de leur séjour dans la fosse, qu’ils y prennent la consistance, le moelleux, la pesanteur qui en fait le prix ;
et le droit imposé à raison du poids, comme pour en interdire la perfection semble placer une amende là où l’intérêt public voudrait
qu’on établisse une prime. Le transport des cuirs, s’ils ne sont pas très mouillés, les fend et les racornit. Il faut donc aussi,
ou risquer les avaries, ou payer le droit sur l’eau dont ils sont imprégnés. Nous ajouterons que cet impôt, aussi destructeur qu’onéreux,
est une source éternelle de fraude et d’injustice ». En fait ces taxes servaient surtout à entretenir les officiers marqueurs,
les contrôleurs des cuirs et les nombreux autres agents d’état. Au 18° siècle, en raison de la crise des subsistance,
beaucoup de commerces se faisaient au noir pour échapper à la fois au fisc et à la réquisition.
 
L’enquête impériale de 1811 auprès des sous-préfets : région d’Aurillac
En temps de guerre Napoléon avait encouragé la production des cuirs français nécessaires aux équipements des soldats et des chevaux,
ce qui donna un regain d’activité aux tanneries à partir de 1800. Mais peu satisfait des résultats, en 1811 le Ministère de l’Intérieur
voulait tout savoir des tanneries françaises et adressa un questionnaire aux préfectures. Sur la région d’Aurillac le constat n’était
pas brillant ( comme ailleurs en Auvergne et même en Quercy). Les réponses témoignent de la fragilité d’une activité artisanale reproduisant
des méthodes traditionnelles où l’on ne tient pas compte des procédés nouveaux employés sur d’autres régions. La préparation des
cuirs se faisait exclusivement à la chaux pour le pelanage et à l’écorce de chêne pour le tannage. De plus les tanneurs ne s’attachaient
pas à la qualité des peaux. Les éléments qui suivent donnent des chiffres intéressants sur les peaux et les bains, région d’Aurillac :
Il a été observé qu’il n’existait pas de fosses - on se sert de cuves en bois - leurs dimensions ordinaires sont de 7 à 8 mètres de circonférence
sur 1 mètre 25 de hauteur. Le nombre de peaux de chaque espèce qu’on y place et la quantité d’écorces qu’on emploie pour chaque cuve
est fixé d’après le tableau suivant :  
 
 
Peaux Nbre de peaux / cuvée Quantité métrique d’écorces
Bœuf
18
14
Vache
30
8
Veaux forts
40
6
Veaux moyens
100
6
Chèvres
80
5
Moutons
300
5

 

On renouvelle le bain : 4 fois pour les bœufs préparés à fort, 3 fois pour les bœufs ou les vaches préparés en baudrier et
2 fois pour les petits veaux. Le temps qu’on laisse dans les cuves est de 4 mois pour les 1er, 3 mois pour les 2ème et 2 mois
pour les dernières. A noter cependant que l’on ne préparait presque pas de cuirs de bœufs à fort à cause de la rareté et de la
cherté de la racine de chêne vert qu’on emploi pour cette préparation servant à produire des baudriers.
On préparait le « cuir doux » aussi aux noix pour les harnais. 
  
 
Tanneur3
   Les peaux provenaient de l'arrondissement de Mauriac et quelques-unes du département
  de la Corrèze. L'introduction du cuir de Pezenas (Hérault) à considérablement diminué
  cette branche d'industrie sur Aurillac, de ce fait, à partir du tout début du 19° siècle,
  celle-ci s'est surtout fixée sur Campuac, près d'Estaing (Aveyron).
  Tous les métiers du cuir (tanneurs, cordonniers, savetiers, gantiers, etc…) qui s'étaient bornés
   aux débouchés locaux, harcelés par la concurrence, achevés par les droits sur le cuir
  n'ont plus assez de clientèle à la veille de la Révolution.
  On comprend alors pourquoi Joseph et Louis Falissard, fils de Jean tanneur-corroyeur à Marcolès,
  deviennent " marchands " à partir de cette époque. Ainsi va la mutation des métiers.
  Un siècle plus tôt leur arrière-grand-père Gérauld Falissard fut, sur Conques, le premier tanneur
  de la lignée, dérogeant lui-même à la pratique de son père cordonnier. Il faut savoir qu'au cours
  du 17° siècle les cordonniers avaient cessé peu à peu de tanner les peaux, les tanneries s'étant multipliés,
   ils achetèrent donc des cuirs aux tanneurs corroyeurs. Gérauld Falissard avait ainsi muté vers ce
  nouveau débouché en se spécialisant tanneur plutôt que cordonnier.
 
  
(1) Le bois de chêne donnant le plus d’acide tannique est celui ayant de 12 à 15 ans d’âge. Pour alimenter la région d’Aurillac,
le tan se tire du département. Cependant les tanneries de Laroquebrou (15) en font venir du Lot et de la Corrèze.
Dans l’économie forestière existait donc une population vivant une partie de l’année du produit de la vente des
écorces de chêne aux tanneries. Ces gens très proche des bûcherons, ou bûcherons eux-mêmes, habitaient le plus souvent
sur place en famille, pour la saison du printemps, dans des huttes de fortune. Leur outil de base pour pelarder l’écorce est le « pelou »,
os taillé en biseau, confectionné à partir d’un radius de cheval ou de mouton. Les écorces cassées étaient ficelées en bottes,
les petits morceaux cachés et bien tassés à l’intérieur. Ces gabarits devaient être bien réguliers pour être apprécié des tanneurs.
L’écorce de châtaignier ne fut utilisée en France pour le tannage qu’à partir de 1860. En Châtaigneraie cantalienne et à Marcolès
en particulier, le châtaignier était bien trop précieux pour la châtaigne qui était la denrée essentielle avec le cochon.
Sur la région cet arbre n’a semble-t’il jamais été « sacrifié » pour les besoins du tannage. De plus, le châtaignier se reproduisait
moins vite que le chêne, lequel était exploité en taillis. On constate de ce fait, qu’à partir de 1910, la fabrication en gros
des extraits tanniques de châtaigniers a amené la disparition d’une grande partie de cette espèce sur plusieurs régions de France.
Ce système de tannage végétal disparaît complètement au profit du tannage chimique après la seconde guerre mondiale.
 
(2) La concurrence était rude, les bouchers étaient très sollicités par des marchands qui disposaient d’assez de fonds
pour acheter en gros toutes les dépouilles des animaux tués en boucherie dans l’année. Souvent ces négociants revendaient
les peaux dans des provinces voisines. En 1686 par exemple, les maîtres tanneurs Fontanel, grande dynastie sur Figeac (Lot),
s’arrangent avec le marchand boucher Trayssac de Maurs (Cantal) pour l’achat de toutes ses peaux de moutons ‘bonnes et marchandes’ sur une année.
Tous les contrats d’achat de viande de boucherie partaient de Pâques et s’arrêtaient au Carême, époque d’abstinence
des nourritures carnées. La crise agricole de 1694 qui a décimé les troupeaux, principale raison de l’augmentation du prix des bovins,
n’a pas facilité la vie des petits artisans du cuir. Bien des petits tanneurs qui achetaient 3 ou 4 peaux à la fois ne pouvaient lutter
contre les gros négociants qui achetaient les peaux de toute une année, avec une avance pour être sûr que les bouchers leur réserve la marchandise.
De tous temps ils sont obligés de se débrouiller pour trouver les peaux convoitées. Ainsi les tanneurs et les corroyeurs sont-ils souvent
contraints de profiter de leur parenté ou de leur voisinage pour obtenir des prix acceptables.
 
(3) Quelques-fois on les remettait dans une autre fosse avec de la chaux neuve pendant une année et la chaux était changé trois fois.
Plus longue, cette méthode de trempage prolongé dans la chaux permettait de gagner néanmoins du temps ensuite, sur les prochaines étapes
avant le tannage. Il fallait pour cela avoir suffisamment de chaux en stock. Bibliographie :
 
- Cuirs et peaux, Encyclopédie Industrielle, F. Puget, 1921
- Histoire des artisans Quercynois aux 17° et 18° siècles, Françoise Auricoste, 2000
- Les outils taillants, Daniel boucard, 2000
- Les Métiers disparus, Autrefois, Régis Granier, 1999
- Métiers oubliés, John Seymour, 1985 - Le théâtre d’agriculture, Olivier de Serres, 1804
- Dictionnaire des Arts, Métiers et Professions depuis le 13° siècle, Alfred Franklin, 1987
- Encyclopédie des métiers, Diderot & D’Alembert, vers 1760
   
 
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A gauche, découpage des peaux : Les grandes peaux étaient découpées suivant l’usage auquel elles étaient destinées.
Une simple découpe au milieu du dos donne deux demi-peaux. Le cuir épais des collets peut être découpé pour faire des harnais.
Au milieu, trois types de couteaux pour la préparation des peaux. A droite, le chevalet de rivière.