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Une famille de tanneurs

De Conques à Marcolès :

Après son mariage à Conques en 1739, Jean Falissard s’installe à Marcolès en qualité de tanneur. A cette époque la cité médiévale est encore un lieu de grande activité artisanale, voire d’avenir pour le travail du cuir, dès le 16ème siècle des marchand-tanneurs y sont déjà mentionnés. Jean Falissard, fils de tanneur de Conques, en épousant une Boutaric de Marcolès d’une famille également de tanneurs, montre les rapports étroits qu’il pouvait exister entre gens de même corporation, ceci bien au-delà des limites d’une paroisse. Sur le contrat de mariage, le père de l’épouse - feu Louys Boutaric - était mentionné « marchand-tanneur ». Notre Jean a sans doute eu là l’occasion de reprendre l’affaire du beau-père décédé. Bien des interrogations subsistent cependant sur la transmission du moulin à tan (au bord de la Rance) et de la maison appelée ‘des tanneries’ (au bourg) que l’on retrouve dans la succession de Joseph Falissard : Jean Falissard son père avait-il acquis ces biens via sa belle-famille Boutaric ou les avaient-ils lui-même acheté ?

Des allers et venues étaient donc choses courantes entre Marcolès et Conques pour ces marchands du cuir. D’ailleurs le grand-père de la mariée, Bernard Boutaric, auparavant tanneur à Conques, avait lui-même tracé la voie en allant se marier et s’implanter à Marcolès, dès 1684, avec une fille Poncely de Marcolès dont le père était qualifié de « Maître-tanneur ». Avec d’abord les Poncely, puis les Boutaric et enfin les Falissard, nous avons là, trois familles distinctes de tanneurs qui se sont succédées en seulement quatre générations.

Un métier sur le déclin : « 1774 » année charnière

En s’installant à Marcolès Jean Falissard ne se doutait pas encore que les affaires allaient péricliter au fil des années. Son fils Joseph né en 1741, qualifié d’aîné en 1787 (son premier fils Jean-Louis né un an plus tôt était donc décédé) sera un tanneur de la dernière génération, et encore, il n’exercera jusqu’à seulement 33 ans. Dans cet acte de vente, Falissard père et fils apparaissent comme « tanneurs » pour la dernière fois :

« Le 5 février 1774, Jean et Joseph Falissard tanneurs, père et fils, le fils donataire, ont vendu à Messire Guillaume d'Humières habitant en son château de Montfort, Jaleyrac, présentement au château du Poux, Marcolès, leur domaine de Leygonie, sis à Leygonie, Marcolès, composé de maison, grange,four, patus, courtils, prés, terres et bois, actuellement à titre de bail à demi-fruits à Antoine Marret métayer, domaine confronté presque de toutes parts avec les possessions de l'acquéreur et avec celles de Guy Cantournet de Leygonie, avec droits d'entrées, issues, servitudes, prises d'eau, la présente vente moyennant 8300 livres. »

En effet, après avoir été qualifiés de tanneur puis ensuite de marchand-tanneur ou marchand-corroyeur, à partir de 1774 Falissard père et fils seront tout bonnement marchands. Ce qui expliquerait que le ‘moulin tanyé’ des Falissard ayant donc cessé son activité en 1774 n’ai pas été répertorié quelques années plus tard sur la carte de Cassini.

On retrouve ce terme de marchand pour Jean en 1787, dans le testament de son épouse Marianne Boutaric (Jean Falissard était décédé en 1783), lui aussi avait dû se résoudre à évoluer dans son métier :

« Notaire Bouyssou 3 E 252 192

Le 7 avril 1787, testament de Marianne Boutaric veuve de Jean Falissard marchand, à Marcolès :

- elle lègue à Pierre Jean Falissard son fils 1000 livres.

- elle lègue à Louis, Marie épouse Dalmont de Conques et Marianne épouse Molinier, à chacun 100 livres car suffisamment dotés lors de leurs mariages.

- elle lègue à Jean Louis Falissard son petit fils, fils de Joseph et Anne Puechguirbal une somme.

- elle nomme Joseph Falissard son fils aîné héritier.

(=> en 1787, sur les 12 enfants, seulement 5 seraient en vie). »

Sans doute en tant que marchands n’avaient-ils pas perdus au change ? Le métier de tanneur-corroyeur était dur et ingrat. De plus, avec les lourdes taxes auxquelles cette profession devait s’acquitter, il devenait difficile aux petits artisans de stocker pendant les deux années habituelles les peaux en cours de préparation. Le roulement était alors plus rapide pour vendre plus vite afin d’arriver à payer les taxes, du coup la qualité du cuir s’en ressentait (voir à ce sujet les pages 31 à 34). Seules les tanneries importantes, situées dans les grandes agglomérations, pouvaient survivre. Les marchands allaient bientôt s’y fournir pour approvisionner leur village et d’autres alentours.

De fil en aiguille ces marchands du cuir vendront aussi d’autres produits, se lanceront pour les plus doués dans des transactions plus importantes et seront négociants, à l’image de Joseph mais surtout de Louis Falissard, autre fils de Jean, qui sera un modèle dans le genre, ayant eu à faire dresser de nombreux actes notariés. Les deux frères possédèrent ainsi de nombreuses terres ou maisons sur Marcolès et alentours, comme à Arpajon où Joseph semblait souvent se rendre. Il est alors marchand-aubergiste en 1783. Il ne sera plus mentionné quelques années plus tard que comme aubergiste, tout comme son autre frère Pierre-Jean Falissard en 1791 :

« 25.2.1783, Joseph Falissard marchand aubergiste, en son nom et comme mari et maître des biens dotaux de Anne Puechguirbal, a donné à titre de bail afferme à Guillaume Toyre marchand, Brouzadet, Arpajon, une maison et

auberge appelée de Trabuc, sise en ce lieu, composées de cave, celliers, cuisine, chambres, grange à côté, 2 portions de jardin autour de la maison, le tout uni et contigu, une portion de terre située au tènement du Puechlong dans les dépendances de ce lieu, tel que défunt Guillaume Trabuc l'avait acquis de Antoine Naudou, le pré "decanis" à Canet, ainsi que les meubles qui garnissent la maison dont il fera faire la description à la prise de possession par Toyre, ce pour 6 années, le présent bail moyennant 240 livres annuellement ».

On le retrouvera témoin à Arpajon-sur-cère le 9 juillet 1793, à la déclaration de naissance d’un Joseph Puechguirbal, fils de Charles, laboureur à Cabrières, et de Marie Bacq. Dès la révolution, même s’il possède encore le moulin tanyé, le temps du tannage est pour Joseph déjà loin. Leur respectabilité, leurs relations et leur qualité de négociation feront occuper aux deux frères Louis et Joseph Falissard des postes à responsabilité au sein de la commune. Louis sera maire (1789-1792) et Joseph conseiller municipal (avant 1820-1823).

A Marcolès, série G (contributions), on remarque que le train de vie de Joseph va en diminuant au fil des années :

* 1791 : Joseph Falissard aubergiste, 7 enfants, une servante et un cheval

Louis Falissard, 6 enfants, une domestique, un cheval

* 1793 : Joseph Falissard n'a plus de servante

* An 5 (1797) : Joseph Falissard aubergiste

* An 7 (1799) : Joseph Falissard cabaretier

Le « moulin tanyé » des Falissard

L’emplacement du ‘Moulin Tanyé’ (ou moulin à tan) des Falissard avait été omis sur le relevé de cette carte de Cassini. Ce moulin existait pourtant au 18ème siècle, Joseph en était propriétaire en 1793 car il en payait l’impôt. Sans doute n’a t’il pas été pris en compte car n’étant plus en activité au moment des relevés cartographiques sur la région vers 1780.

Grâce aux investigations d’Yvette Souquières, son emplacement a pu être localisé. Nous le faisons figurer par un point rouge, de nos jours il n’en reste pas même une petite ruine. L’une de ses meules enfouie avait été découverte il y a quelques années avant d’être transportée ailleurs. Il était situé sur la rivière Rance, au-dessus du hameau de La Milie, à moins d’1 km au Nord-Est du Bourg de Marcolès. C’était la distance qu’il fallait parcourir pour acheminer ensuite les écorces broyées jusqu’à la tannerie du bourg, implantée près de l’entrée du porche du bas (porche de la tour). Ce moulin Tanyé était entouré en amont par le moulin à céréales de La Bouygue (transformé aujourd’hui en maison d’habitation) et en aval par les deux du Talarau dont l’un fut à foulons à chanvre puis à céréales et l’autre à céréales (fermés en 1955).

Après avoir appartenu à Joseph Falissard, le moulin tanyé a dû appartenir à Augustine Falissard qui habitait à St-Mamet. Elle a vendu la « terre del mole tanyé » en 1859, une terre qu’elle possédait déjà en 1832 : parcelle 612, section C. Un Jean-Pierre Falissard possédait lui les parcelles 605 et 599, section C. Curieusement nous n’avons pas encore trouvé le lien de parenté qu’avaient Augustine et Jean-Pierre avec leur donateur Joseph décédé en 1823.

Sur les 21 moulins de Marcolès recensés à ce jour (cf. Yvette Souquières), un autre servait aussi au broyage des écorces de chênes pour le tannage : le moulin à tan du domaine de Croûtes. Il était en service à la même époque et se situait encore plus en aval sur cette rivière Rance, au lieu dit le Pont-Noir, entre le moulin du Carmentraire (disparu vers 1900) et le ‘Moulet del Prat’. En 1792 Mr d’Humières en était le propriétaire (voir son emplacement en encadré sur la carte). Tous ces moulins étaient uniquement « à eau », réparties sur huit cours d’eau de Marcolès, lesquelles se jettent tous dans la Rance, puis le Célé. En voici une description sommaire :

Sous le moulin, un déversoir permettait de détourner une partie de l’eau et d’en régler le débit. Une roue horizontale à cuillères actionnait le système de mouture. Ce système situé au rez-de-chaussée se composait de la trémie, du coffre des meules - la dormante et la tournante - de l’auget qui amenait le grain ou l’écorce de la trémie aux meules.

Philippe.Gautreau.